Les sens de la nuit. Enquête sur des sensorialités urbaines coloniales à Madagascar et au Mozambique

Numéro: 
38
Date: 
Avril 2016
Année: 
2 016

Type de pub.:

Auteur: 
Didier Nativel
Résumé: 

S’intéresser aux villes africaines de nuit, de la fin du XIXe aux années 1960, c’est observer l’extension progressive des frontières temporelles de la vie sociale. Par des lois et des équipements, les colonisateurs définissent de façon continue les contours d’un espace autorisé et des règles de conduite qui conditionnent la production de sociabilités et d’imaginaires nouveaux chez les citadins africains. Avec l’électrification progressive de quartiers centraux, de places publiques, de grandes artères, le rapport à la nuit change dans l’entre-deux-guerres. Objet d’une surveillance policière, qui redouble en période de contestation, la nuit n’est pourtant pas vécue de façon homogène comme l’envers passif du jour. Elle convoque autrement et diversement l’engagement sensible des acteurs. Dans ce temps de contraintes renforcées pour les colonisés se croisent, voire interagissent délinquants, militants, guérisseurs, musiciens, prostituées, indicateurs. La nuit n’est donc pas uniquement ce « silence qui appelle le sens », entre solitude, vulnérabilité et révélations. Les mondes sensoriels nocturnes, éminemment collectifs, se constituent d’abord autour d’ambiances spécifiques, fruits de transactions et de luttes. Espaces-temps éprouvés, enveloppants, éphémères mais fondés sur des régularités situées, les ambiances forment en effet des repères essentiels, le plus souvent ordinaires et non uniquement festifs, qui invitent à explorer les mues successives des villes africaines tout au long du XIXe siècle. Nous nous appuierons pour le montrer sur des exemples malgaches et mozambicains, à partir d’une approche d’histoire sociale, matérielle et phénoménologique des pratiques