Le papier conjure-t-il la menace ? Cartes d’identité, incertitude documentaire et génocide au Rwanda

Numéro: 
48
Date: 
Août 2019
Année: 
2 019

Type de pub.:

Auteur: 
Florent Piton
Résumé: 

Le rôle des cartes d’identité permettant, pendant le génocide des Tutsi du Rwanda, d’identifier les cibles des massacres est bien connu. Cette utilisation des papiers s’inscrit dans la longue histoire de l’État documentaire rwandais. Dès les années 1930, les catégories Hutu, Tutsi et Twa furent inscrites sur les papiers, une pratique maintenue après l’indépendance parce qu’elle permettait, pour la république racialiste qu’était devenu le Rwanda, de contrôler les Tutsi et la place qu’ils occupaient dans la société et dans le système politique. L’angoisse de submersion s’accompagnait toutefois d’une obsession, celle des falsifications « ethniques », moyen pour les Tutsi de contourner les quotas auxquels ils étaient soumis. Lorsque débuta en 1990 la guerre contre le Front patriotique rwandais, ce double mouvement – nécessité de l’identification « ethnique » d’un côté, incertitude documentaire de l’autre – fut un thème récurrent de la presse extrémiste. Dès lors, le rôle des cartes d’identité pendant le génocide est ambigu : de multiples règles sont édictées pour vérifier les papiers, mais des rumeurs persistantes soulignent en même temps le manque de fiabilité de ces papiers. Des instruments alternatifs de véridiction sont donc mobilisés, sans se traduire toutefois par un effacement du rôle de l’État : l’incertitude et l’insécurité documentaires n’engendrent pas nécessairement une défiance bureaucratique.

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