« Dessine-moi un MENA ! », ou l’impossible définition des « aires culturelles »

Numéro: 
38
Date: 
Avril 2016
Année: 
2 016

Type de pub.:

Auteur: 
Jean-François Bayart
Résumé: 

Les « aires culturelles » demeurent une fiction utile, pourvu que l’on en n’ait pas une définition culturaliste. La délimitation de la zone qualifiée de Moyen-Orient/Afrique du Nord (MENA), qui se superpose en partie à celle de la Méditerranée, est un cas d’école. Aucun critère objectif ne permet de caractériser l’une ou l’autre. La définition d’un ensemble régional doit partir non pas de facteurs statiques, mais de l’identification de dynamiques pertinentes du point de vue que privilégie l’opérateur, scientifique ou organisationnel, de la délimitation dudit ensemble. Deux approches se révèlent alors disponibles : celle de l’écologie historique, ou celle de la sociologie historique et comparée de la formation de l’Etat. De ce dernier point de vue, l’ensemble considéré procède d’un moment d’historicité identifiable : le passage, au xixe-xxe siècle, d’un monde d’empires à un système régional d’Etats-nations, que fondent la définition ethnoconfessionnelle de la citoyenneté et sa mise en oeuvre par des politiques publiques de purification ethnique, plus ou moins violentes et systématiques. Une telle situation historique de « gouvernement dans la violence » (Jacobo Grajales) continue de dominer la région. L’espace historique considéré à travers le prisme d’un moment d’historicité particulier est un effet de composition de durées hétérogènes, plus ou moins longues, qui participent de champs sociaux, et donc d’espaces-temps, différents, d’ordres religieux, économique, culturel, « ethnique », politique, etc., s’articulant à d’autres espaces historiques, mitoyens ou éloignés. Le concept bergsonien de souvenir du présent permet alors de mieux comprendre la compénétration de ces durées sous-jacentes aux mémoires historiques traumatiques et conflictuelles qui le hantent et le façonnent.

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